Société de confiance : ce que contient le projet de loi sur l’administration, l’état civil, la fonction publique

Rebaptisé projet de loi pour un Etat au service d’une société de confiance, ce nouveau véhicule législatif à vocation simplificatrice doit sa popularité au "droit à l’erreur", signifiant la volonté du gouvernement "d’inverser la logique existante" dans les relations avec l’administration. 

 

Réduire la complexité des parcours administratifs, alléger les normes et accélérer la dématérialisation des procédures, au bénéfice des usagers comme des agents du service public, en sont les principaux aspects.
Les solutions proposées – dont certaines jugées inutiles ou partielles par le Conseil d’Etat – et les conséquences qui en résulteront devront toutefois passer le stade de l’expérimentation largement privilégiée par le projet de loi. Certaines dispositions n’ont pas même franchi le cap du Conseil national d’évaluation des normes (CNEN) et ne figurent plus dans la nouvelle mouture présentée en conseil des ministres le 27 novembre. C’est le cas pour la suppression de la propagande électorale sur papier ou du resserrement du contrôle de légalité.

 

Stratégie nationale d’orientation de l’action publique

Le texte s’ouvre sur l’approbation de la “stratégie nationale d’orientation de l’action publique” (article 1), annexée au projet de loi, et dont il sera rendu compte annuellement au Parlement (article 40). Le projet de loi se rattache donc à la catégorie des lois de programmation déjà employée dans d’autres grands domaines de l’action publique (sécurité intérieure, école, environnement ou encore agriculture). Cette stratégie nationale pose les jalons de cette relation de confiance entre le public et l’administration que le gouvernement se propose de mettre en oeuvre, avec le concours des collectivités territoriales, d’ici 2022. “La recherche d’une nouvelle culture de l’action publique ne suppose pas nécessairement l’édiction de normes (…), mais aussi des évolutions managériales, de gestion ou encore d’organisation”, relève, pleine de bon sens, l’étude d’impact. Cet énième véhicule législatif à vocation simplificatrice est-il dès lors nécessaire? La question mérite d’être posée.

 

Droit à l’erreur

Ces principes programmatiques d’organisation et d’action reposent sur la définition de moyens juridiques et opérationnels que de nombreuses dispositions du projet de loi illustrent : “présomption de conformité des comportements à la loi, conscience du service nécessaire et de son coût, évaluation régulière, choix pertinent des moyens pour limiter la production de normes, confiance dans les parties prenantes, auxquelles l’action doit être déléguée, présence au plus proche des territoires et des personnes, internalisation de la complexité, ouverture et modernisation, autonomie et responsabilité des agents formés à cette fin”.
On en trouve ainsi l’écho à l’article 2 qui consacre le principe d’un droit à l’erreur au bénéfice des usagers et ce “dans tous les domaines de l’action publique”. Les articles 3 à 6 du projet de loi aménagent quant à eux les régimes spécifiques existants en matière fiscale et douanière. En quoi cela consiste-t-il ? C’est la possibilité pour les administrés de se tromper dans leurs déclarations sans risquer de sanction dès le premier manquement. Cette présomption de bonne foi cesse toutefois de jouer en cas de renouvellement d’une erreur dans l’application d’une même règle ou de manoeuvre frauduleuse. Seules les erreurs susceptibles d’être régularisées sont en outre concernées. Les retards et omissions de déclaration dans les délais prescrits n’entrent pas dans le champ du droit à l’erreur. Pas plus que les erreurs grossières ou qui témoignent d’une négligence grave. Ce dispositif est par ailleurs exclu “lorsque la santé publique, l’environnement ou la sécurité des personnes ou des biens est en cause, que la sanction pécuniaire applicable est requise pour la mise en œuvre du droit de l’Union européenne ou lorsque cette sanction résulte d’une stipulation contractuelle”, précise l’exposé des motifs. Le texte exclut de même du bénéfice du droit à l’erreur les professionnels avertis lorsqu’ils agissent dans les champs spécifiques soumis au contrôle des autorités de régulation.

Dans le prolongement de la reconnaissance d’un droit à l’erreur, le texte ajoute au panel des droits des administrés, le droit au contrôle et la faculté d’en opposer les conclusions expresses, à la manière d’un rescrit. La mention d’un “délai raisonnable” laissé à l’appréciation de l’administration -qui ne devrait pas excéder une année – permet de tenir compte des réalités matérielles notamment en termes d’effectifs et de moyens disponibles. Toutefois, l’étude d’impact ne recense pas les procédures de contrôle auxquelles le dispositif pourrait s’appliquer “et, par suite, ne permet pas d’apprécier les conséquences qu’emportera sa mise en œuvre”, déplore le Conseil d’Etat.

 

La pratique du rescrit administratif

Le texte (article 10) entend généraliser la pratique du rescrit administratif -bien connue en matière fiscale -, tout en renvoyant au pouvoir réglementaire le soin de définir les domaines dans lesquels cette garantie pourrait être instituée. Par ce biais, les administrés ont la possibilité de solliciter l’administration qui doit alors prendre une position formelle, qui lui est opposable, sur une situation de fait décrite loyalement. La mesure ainsi envisagée concerne uniquement l’Etat et ses établissements publics administratifs.
A l’article 11, le texte va un cran plus loin en prévoyant, dans ces mêmes domaines, d’expérimenter la possibilité pour l’administré de pré-rédiger lui-même une prise de position formelle. Ce projet sera réputé approuvé en l’absence de réponse de l’administration dans un délai de trois mois à compter de la réception de sa demande.

A titre expérimental toujours, un “rescrit juridictionnel” est mis en place à l’article 31, pour demander au juge administratif d’apprécier la régularité de la procédure d’édiction d’une décision, et dès lors purger à l’avenir tout risque de contestation tardive sur ce fondement, y compris par voie d’exception. Les demandes de rescrit suspendront l’examen des éventuels recours contentieux dirigés contre les mêmes décisions, à l’exclusion des référés. Dans un premier temps ne seront concernées que les décisions non réglementaires relevant du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique, du code de l’urbanisme et du régime de déclaration d’insalubrité des immeubles. A titre d’illustration, dans le cadre d’une opération d’aménagement urbain, la collectivité pourrait sécuriser l’acte déclaratif d’utilité publique en demandant au juge administratif d’apprécier sa régularité, laquelle ne pourrait plus être contestée, dans le cadre de recours dirigés contre des arrêtés de cessibilité.

 

Publication et opposabilité des circulaires

L’article 9 a pour objet “d’assurer sa pleine efficacité à l’obligation de publier les instructions et circulaires mentionnée à l’article L. 312-2 du code des relations entre le public et l’administration (CRPA)”. L’objectif de transparence déjà poursuivi par un décret de 2008 – à travers le site www.circulaires.gouv.fr-, “n’a pas été complètement atteint” et “(…) le stock d’instructions et de circulaires non publiées s’est reconstitué depuis”, constate l’étude d’impact. Le projet de loi prévoit donc d’étendre la sanction de l’abrogation des circulaires et instructions non publiées, pour les seuls actes ministériels, aux instructions et circulaires émanant de toute administration. Il consacre par ailleurs l’invocabilité de la doctrine ministérielle – qu’il s’agisse de circulaires, directives, lignes directrices, notes de service, interprétations ou instructions – dès lors qu’elle est publiée sur un site internet spécialisé, sur le modèle du Bulletin officiel de l’administration fiscale (BOFiP-Impôts). Les administrés pourront se prévaloir auprès de l’administration de cette interprétation, “même erronée”, ajoute le texte, sous réserve qu’elle n’affecte pas les droits des tiers, et ce tant qu’elle “n’a pas été modifiée”.

 

Certificat d’information sur les normes applicables

Toujours dans un objectif d’accessibilité, le projet de loi crée un certificat d’information (article 12) inspiré du “certificat de projet” issu de l’ordonnance du 20 mars 2014. Tout usager, désireux d’obtenir une information sur les normes régissant une activité économique ou sociale pourra obtenir de l’administration compétente, un certificat en dressant la liste de manière exhaustive. Si l’objectif est louable, il peut être atteint, selon le Conseil d’Etat, “sans création de nouvelles règles mais par l’action de ces administrations et, par conséquent, par la voie de circulaires”. D’autant que le projet de loi rate sa cible, estime-t-il, “dès lors qu’il n’est pas dans l’intention du gouvernement de prévoir que le certificat mentionne les règles relevant de chacune des administrations responsables, qu’il s’agisse de l’Etat, des collectivités territoriales ou d’une autre personne publique, ni d’attacher à la délivrance du certificat des effets de cristallisation de la réglementation (…)”.

 

Référent unique

Pour faciliter les démarches administratives des usagers, le gouvernement souhaite expérimenter – pour une durée de quatre ans – la mise en place d’un référent unique par certains services de l’Etat et les collectivités qui le souhaitent “pour des procédures et dispositifs déterminés” (article 15). Sa vocation ? Centraliser l’ensemble des demandes engagées par une même personne et assurer leur suivi sur le modèle d’autres dispositifs similaires de type “guichet unique” ou maisons de services publics. Le projet de loi se borne donc à confier à cette interface exclusive la coordination du traitement des demandes qui lui sont adressées, limitant de ce fait, selon le Conseil d’Etat, “la portée utile” de l’expérimentation. Ce dernier prend acte, “pour le regretter”, de ce que le texte n’envisage pas de conférer au référent unique de pouvoir de décision, par délégation de l’ensemble des personnes publiques participant à l’expérimentation.

 

“Dites-le-nous une fois”

Cette logique de guichet unique est également sous-jacente à une autre expérimentation prévue à l’article 21 “pour démontrer la pertinence d’un dispositif d’échanges d’informations entre administrations” via l’interface de programmation applicative (API) dédiée aux entreprises développée par la direction interministérielle du numérique et des systèmes d’information et de communication (Dinsic). Objectif : dispenser les usagers de produire des informations que l’administration détient déjà dans un traitement automatisé ou qui peuvent être obtenues d’une autre administration par un tel traitement. Il s’agit à terme de refondre le programme “Dites-le-nous une fois”, lancé lors du précédent quinquennat – et illustré à travers l’API “Marché public simplifié” (MPS) – mais resté limité à défaut de décret d’application. Prévue sur une durée de quatre ans, l’expérience ne concernera que les personnes morales inscrites au répertoire Sirene qui auront consenti à y participer dans leurs relations avec les administrations, y compris les collectivités territoriales de plus de 3.500 habitants qui en exprimeront la demande.

 

Jurisprudence Danthony

Le texte (article 27) tire les conséquences du principe dégagé par la jurisprudence Danthony selon lequel “un vice affectant le déroulement d’une procédure administrative préalable, suivie à titre obligatoire ou facultatif, n’est de nature à entacher d’illégalité la décision prise que si cette irrégularité a exercé une influence sur le sens de la décision ou a privé les intéressés d’une garantie”. Il abroge, à cette fin, l’article 70 de la loi de simplification du 17 mai 2011, qui limite ce principe juridique aux seules irrégularités commises lors de la consultation d’un organisme, “et n’est donc, en pratique, pas appliqué”.

 

Agents publics

Pour inciter le recours à la transaction en cas de contentieux exposant une administration d’Etat à un risque de condamnation pécuniaire, le texte (article 13) prévoit l’intervention d’un comité appelé à se prononcer sur son opportunité au-delà d’un certain montant, de façon à écarter la responsabilité personnelle de l’agent signataire de la transaction.

A cela s’ajoute, un effort de dématérialisation. Le gouvernement se fixe pour objectif, s’agissant de l’administration de l’Etat, “la dématérialisation de l’ensemble des démarches administratives, en dehors de la première délivrance d’un document d’identité, d’ici à 2022”. A l’échelle des trois versants de la fonction publique, le texte (article 22) prévoit notamment un nouveau cas de dispense de signature de l’employeur pour les décisions relatives à la gestion des agents produites entièrement par voie dématérialisée. La seule alternative étant le certificat de signature électronique qui s’avère, selon l’étude d’impact, “lourd et couteux à mettre en place pour les administrations”. A terme, cet objectif “zéro papier” pourrait concerner la production de la majorité des actes liés au déroulement de la carrière des agents, en particulier ceux, très nombreux liés aux avancements, aux promotions, et à l’évaluation des agents.

 

Etat civil

Les actes d’état civil seront également concernés s’agissant des services consulaires (article 24). L’habilitation sollicitée par le projet de loi vise ainsi à engager la voie d’une adaptation du droit civil afin que soit reconnu, en son principe, le registre d’état civil électronique. La dématérialisation, à titre expérimental, des actes de l’état civil dont est dépositaire le ministère des Affaires étrangères pourrait préfigurer son extension à l’ensemble des communes. Une expérimentation sera par ailleurs menée dans quatre départements (Nord, Yvelines, Aube, Val-d’Oise) visant à supprimer les justificatifs de domicile pour la délivrance des cartes nationales d’identité, passeports, permis de conduire ou certificats d’immatriculation (article 23). L’usager pourra se borner à fournir les références relatives à un avis d’imposition ou à un contrat d’abonnement pour une prestation attachée à son domicile (fourniture de fluides, accès à internet, téléphonie fixe). Les prestataires concernés devront répondre aux sollicitations de l’administration, en lui communiquant les données lui permettant de vérifier le domicile déclaré par le demandeur.

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