Passation de pouvoir pour les 21 ans du Comité 21

Le Comité 21 fête ses 21 ans. Bettina Laville la fondatrice de l'association, a été élue à sa présidence. Celle qui remplace Gilles Berhault nous livre en exclusivité son analyse sur les enjeux passés et à venir du développement durable.

Après 21 ans d’existence, quel bilan tirez-vous de l’action du Comité 21 ?

Le Comité 21 a été une initiative de coopération, et de coproduction. Trois associations, pionnières chacune dans la sensibilisation à l’environnement, ont décidé de fusionner pour unir leurs forces afin d’écrire la page de l’après-Rio. Quand je regarde le travail accompli, je vois une multitude d’initiatives, d’expériences, de politiques et d’actions, un partenariat multi-acteurs assez exceptionnel, une sorte de Grenelle avant l’heure, une alliance de la réflexion et du terrain. Souvent aussi, nous avons été les premiers à lancer des initiatives qui ensuite ont fait florès : les premiers à organiser en 1995, puis en 2002 un débat avec les candidats aux présidentielles sur leur projet en matière d’environnement et de développement durable. Les premiers à organiser, comme association, un concours d’architectes d’une maison écologique, le premier à organiser un dialogue multiacteurs pour le développement durable, le premier encore, à travers le Club France Développement Durable, à investir un grand monument comme le Grand Palais avec des exposants s’unissant pour la transition écologique et la sobriété…

 

Comment les élus locaux s’approprient désormais le développement durable ?

La première brique du développement durable a été l’échelon local, très vite illustré par la fameuse injonction « du global au local », et inversement. En revanche les collectivités ont continué de décliner leurs politiques sociales traditionnelles sans les lier au développement durable, de sorte que les inégalités écologiques sont encore mal traitées. Néanmoins toutes aujourd’hui, des métropoles aux collectivités les plus petites, ont assimilé la notion de développement durable, à la fois en respectant les obligations légales et en innovant par des actions adaptées à leurs territoires.

 

Que va changer la réforme territoriale ?

La réforme territoriale offre plusieurs opportunités aux Régions. Certes, la suppression de la clause de compétence générale pour les Régions et les Départements pourrait diminuer la transversalité de la vision mais les schémas régionaux sauvegarderont le caractère « multiacteurs » du développement durable. Grâce à leur compétence quasi-exclusive en matière de développement socio-économique, elle offre aux nouvelles Régions un vrai rôle d’animation et de coordination des acteurs. L’élaboration du schéma régional de développement économique, d’innovation et d’internationalisation (SRDEII) devra notamment servir à promouvoir une vision forte de développement durable, en l’articulant à la « transition écologique de l’économie ». On peut évidemment s’interroger si les très grands périmètres de certaines d’entre elles faciliteront la concertation, alors que le désir de participation est une aspiration grandissante chez nos concitoyens. Le Comité 21 accompagne ces mutations. Le Comité 21 Grand Ouest a ainsi favorisé la création de plateformes territoriales qui permettent ainsi aux Régions d’ouvrir leurs compétences vers de nouveaux enjeux tels que les objectifs du développement durable et vers de nouveaux partenariats. Le Comité 21 s’est aussi associé à l’association Empreintes Citoyennes pour interroger les collectivités sur leurs pratiques de développement durable. En 2016, cet observatoire portera sur le dialogue local avec les parties prenantes et plus généralement sur l’appropriation par les collectivités de la responsabilité sociétale des organisations.

 

Avec le renforcement des intercommunalités, l’avenir est-il aux agendas 21 intercommunaux ?

Il existe à peu près 1 200 Agenda 21 locaux : 20 sont des démarches régionales et 65 départementales. Le reste concerne des communes seules et 8 % des EPCI existants. C’est dire s’ils sont insuffisamment implantés. D’ailleurs la Cour des comptes a rendu public en 2014 un référé sur la politique de promotion des agendas 21 locaux en en dressant un bilan mitigé “tant sur le plan quantitatif que qualitatif”. La Cour a conseillé au ministère de l’Ecologie de « mettre un terme au dispositif actuel de reconnaissance des agendas 21 » et de laisser la promotion de l’outil aux deux associations qui s’en chargent déjà, en particulier le Comité 21. Les Agendas 21 ont structuré le dynamisme de certaines communes mais ont besoin d’être profondément rénovés dans trois directions : l’intercommunalité, les connexions avec le nouveau visage de la décentralisation, et l’amélioration de la coproduction citoyenne.

 

La notion même de développement durable est-elle encore d’actualité ?

Le concept fondateur de 1987 a tendance à être battu en brèche par d’autres : transition, mutation, métamorphose, économie positive, circulaire, collaborative, de fonctionnalité, verte et évidemment la RSE. On voit l’importance qu’a prise, en particulier à travers la crise de 2008, le pilier économique du développement durable, et comment la pensée dominante essaye d’« englober » le concept de durabilité dans l’économie officielle . Pour en faire une coloration « vert pâle » mais aussi pour « opérationnaliser » la durabilité dans des sphères où il pouvait être étranger, comme celle de la compétitivité. Si le désenchantement est perceptible chez les acteurs ou dans le public, c’est que le concept n’arrive pas à s’incarner dans des changements visibles, porteurs de bien-être, d’égalité et de meilleure allocation des ressources. Au contraire, les crises multiples, écologiques, économiques et sociétales relèguent l’avènement d’un développement plus durable à un horizon qui se dérobe sans cesse. Que ceux qui veulent jeter le développement durable comme un oripeau du XXe siècle se souviennent que, dans un monde où les antagonismes s’accentuent, ce concept a fait naître une langue commune. Mais ou bien le développement durable a acquis le rang d’un concept théorique et opératoire, d’une vraie proposition pour l’avenir, ou bien il est le socle des révolutions indispensables au passage si délicat que va devoir franchir l’Humanité. Pour cela, les Objectifs du développement durable doivent lui donner une nouvelle jeunesse.

 

Toutes les associations souffrent financièrement d’un manque de subventions publiques et privées. Comment faire pour que le secteur associatif aient les moyens de ses ambitions ?

Nous sommes dans un très mauvais contexte budgétaire, et les associations en souffrent, au point que certaines disparaissent. C’est un mauvais signe pour la démocratie. Il faut que les gouvernements s’en préoccupent. Si les associations végètent, la démocratie s’étiole. Si elles ne dépendent que des entreprises, ou que de l’Etat, elles perdent leur liberté d’expression, parfois insidieusement. Si on ne les finance que sur des projets liés à des actions publiques ou privées, elles perdent leur faculté d’innovation. Le chiffre issu des documents budgétaires de l’Etat, soit 34 milliards d’euros de subventions accordées chaque année par l’État et les collectivités locales à 250 000 associations est trompeur. En réalité, 80 % des associations ne reçoivent aucune subvention, et seulement 7 % des associations reçoivent 70 % des subventions publiques. En moyenne les associations françaises ont perdu 16 % de leurs ressources, et ont donc dû supprimer beaucoup d’emplois. Une des pistes est la collecte auprès du public, mais seulement 2 % des dons du public vont aux associations environnementales, qu’il faut nuancer par les 28 % dédiés à la solidarité environnementale, si on parle du développement durable. Il est grand temps d’appliquer les propositions de la Commission d’enquête parlementaire de 2014 sur le financement des associations.

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