Limite des mandats dans le temps : tensions entre l’Assemblée et le Sénat

"Gadget" ou "respiration démocratique"? La limitation des mandats dans le temps, à laquelle le Sénat s'oppose dans la réforme des institutions sème la zizanie entre les deux Chambres. De quoi s’agit-il et quelles sont les raisons de cet affrontement ?

Lors de la campagne pour l’élection présidentielle, plusieurs candidats avaient avancé l’idée de limiter les mandats successifs, dans la lignée de la loi de 2014 sur le non-cumul entre mandat parlementaire et fonction exécutive locale (maire, président de conseil général, régional…). La Constitution ne prévoit qu’une limitation à deux mandats consécutifs pour le président de la République.

Dans son programme, Emmanuel Macron, pour “renouveler nos élites”, avait promis ce “non-cumul des mandats dans le temps”, avec une limite fixée à “trois mandats identiques successifs”. Devant le Congrès en juillet, le président y voyait “la clef de voûte d’un renouvellement qui (…) deviendra le rythme normal de la respiration démocratique”. “La réforme des institutions doit être “parachevée à l’été 2018”, avait-il alors déclaré.


Qui est concerné ?

Aux parlementaires, initialement visés, ont été ajoutés les exécutifs locaux, hors petites communes, dans le projet de réforme présenté par l’ex-garde des Sceaux François Bayrou (MoDem). Emmanuel Macron avait évoqué comme seuil les communes de plus de 3.500 habitants : “90% des communes de France seront exonérées”. “Cette limitation s’appliquera à compter du prochain renouvellement des mandats (…) sans tenir compte des mandats précédemment effectués”, avait-il dit au congrès des maires le chef de l’État. Si ce scénario était retenu, le premier couperet pour députés et maires tomberait en 2037 et 2038.

Appliquée aujourd’hui, la mesure concernerait 12 sénateurs sur 348, selon le président du Sénat, 51 députés sur 577, selon l’Assemblée. Deux députés ont entamé leur 7e mandat (Jean-Luc Reitzer, LR élu depuis 1988, et, avec une interruption entre 1993 et 1997, le socialiste Jérôme Lambert), 9 députés leur 6e, 14 leur 5e, 26 leur 4e.


Partisans et détracteurs

S’appuyant sur de récents sondages, la majorité souligne que l’opinion publique plébiscite les projets de réforme institutionnelle, notamment le non-cumul de plus de trois mandats parlementaires consécutifs.

François de Rugy, lui, défend “avec beaucoup de fermeté” la limitation à trois mandats contre “la sclérose de la vie politique”. En cours de troisième mandat, il ne se représentera pas en 2022.

Pour la gauche, il s’agit “encore d’une proposition qui ne correspond en rien à la réalité”. Stéphane Le Foll (PS) précisant d’ailleurs que “la moyenne pour un député est d’un mandat et demi”. Une moyenne fait-elle une réalité ?

Les députés LR sont, quant à eux, très en colère, et leur patron, Christian Jacob, qui effectue son sixième mandat de suite, ne se prive pas pour qualifier cette limitation de “totalement ridicule” et “démagogique”.

Pour Gérard Larcher, au Sénat, cette volonté de limitation est une “ligne rouge” infranchissable. Il la juge même “gadget” vu le nombre de sénateurs concernés et pas à même de “résoudre la crise politique”. Ce porte-voix des territoires, sénateur de 1986 à 2004 et depuis 2007, plaide, comme le groupe LR majoritaire de Bruno Retailleau, le besoin d’élus locaux “d’expérience” et le choix aux électeurs de “décider”.


Un accord ou un referendum

Si la situation est tendue entre les groupes des deux Chambres, la majorité espère tout de même un “terrain d’entente”, avec la mise en place d’un seuil acceptable pour les maires. Ils comptent aussi sur la pression de l’opinion publique :”le Sénat n’a pas intérêt à bloquer, les Français ne le comprendraient pas”.

Cette réforme des institutions ayant vocation à être gravée dans la Constitution, il est indispensable qu’un accord Assemblée-Sénat soit trouvé sur un texte identique, puis une majorité des 3/5e des suffrages exprimés en Congrès, selon la procédure de l’article 89.

A l’Elysée, Emmanuel Macron accentue la pression. Il a en effet prévenu qu’il pourrait, faute d’accord, recourir au référendum. Députés et sénateurs sont donc prévenus

Sur le non-cumul dans le temps, la réduction du nombre de parlementaires et une dose de proportionnelle aux législatives, la ministre de la Justice Nicole Belloubet n’a pas exclu un référendum direct (article 11) si limiter les mandats peut se faire sans changer la Constitution.


Nathalie Chalard


©Pierre-Alain Dorange-Flickr

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