“Les collectivités territoriales doivent assumer une mission essentielle dans une période historique de tous les dangers”

Le 7ème Forum de l’action internationale des collectivités, qui se déroulera à Paris les 4 et 5 juillet prochains, sera placé sous le signe des tensions géopolitiques, économiques et écologiques qui mettent en péril de nombreux équilibres sur la planète. Dans cette interview, Roland Ries, président de Cités Unies de France (CUF), appelle les élus à prendre toute leur part de responsabilité dans ce moment historique décisif, et notamment dans la "crise des réfugiés". 



Les contraintes budgétaires auxquelles les collectivités doivent faire face les détournent-elles de leurs missions internationales ?

La coopération décentralisée est à la croisée des chemins. Bon nombre de collectivités s’interrogent en effet : cette action – qui suppose un effort important – reste-t-elle une priorité dans un contexte budgétaire toujours plus tendu ? Quand les finances locales doivent faire face à une contraction de leurs moyens d’investissement et de fonctionnement, les élus sont tentés de se concentrer sur des besoins de proximité plutôt que de se projeter sur des horizons qui peuvent sembler trop lointains à leurs concitoyens. Notre rôle consiste précisément à réaffirmer une vocation internationale et, au-delà, une ouverture sur le monde, qui ne doivent pas être sacrifiées à des calculs de court terme.

 

Mais la pusillanimité des collectivités n’est-elle pas une fatalité dans une période historique hantée par le doute et qui invite au repli ?
Je ne le crois pas. Cités Unies France a précisément un rôle pédagogique déterminant pour influer sur l’état d’esprit des élus et pour rappeler des réalités que les pays développés ont tendance à oublier, le plus souvent parce qu’ils sont tentés de céder à une certaine facilité de penser… Si nous voulons éviter que nos démocraties européennes soient confrontées à des flux grandissants de réfugiés – politiques, économiques, climatiques – qu’il s’avère difficile d’accueillir ou même de gérer, il faut promouvoir et soutenir des modes de développement endogènes. Or, c’est l’échelon des collectivités territoriales qui est le mieux adapté pour mettre en œuvre des stratégies ciblées d’autant plus efficaces qu’elles sont directement inspirées par le terrain, qu’elles agissent à la source du problème et qu’elles sont vitalisées par une solidarité active, directe, sans complexe. C’est le cadre naturel d’une humanité qui unit ses forces et s’entraide pour progresser tous ensemble. C’est aussi le degré d’intervention qui doit permettre à nos sociétés d’éviter les tragédies vécues par ces populations fuyant le malheur et qui sont rejetées avec une indignité parfois scandaleuse.

 

Dans ce contexte particulier quelle est la vocation du 7ème Forum de l’action internationale des collectivités ?
Par nature, c’est un moment de mobilisation particulier. L’un des rares à pouvoir rassembler, à Paris, plus de 1500 élus, cadres territoriaux, diplomates et dirigeants politiques du monde entier – avec une quarantaine de délégations étrangères – qui viennent partager des solutions et des savoir-faire. C’est un lieu de rencontre où les premières pierres qui fondent les bases de collaborations étroites sont posées. C’est aussi, je le crois, un instant chaleureux toujours créatif et fondateur. Lors de l’édition 2015, le président de la République, François Hollande, est venu rappeler l’intérêt stratégique de l’action internationale des collectivités territoriales. C’est sur cette dimension que nous avons voulu mettre en lumière pour cette édition 2016.

 

ries 


S’il est aussi décisif que vous le dites, pourquoi le thème de la coopération en général et de la coopération décentralisée en particulier ne trouve-t-il pas plus d’écho médiatique ?
Parce qu’il peine à trouver une place à sa dimension. La coopération doit aujourd’hui être repensée parce que la géopolitique de 2016 n’est déjà plus celle du début des années 2000… Le monde diplomatique n’était déjà plus bipolaire depuis la chute du mur de Berlin et aujourd’hui il est même sorti du cadre d’une rivalité d’influence et de puissance économique entre les « anciens » pays développés et les nouveaux géants de la planète. Dans cette instabilité continue, tout change très vite… sauf les inégalités, qui, elles, ne se sont pas résorbées. Ni entre le Nord et le Sud, ni entre les nations, ni entre les individus… Nous devons avoir cette lucidité à l’esprit. C’est même le moteur de notre détermination à continuer notre action internationale, et à l’approfondir. Une façon de combattre une sorte de sentiment d’impuissance qui est parfois le prétexte à bien des renoncements.

 


Oui, mais comment sortir d’une forme de logique et d’assistance… néo-coloniale ?
Il nous faut redéfinir les axes de co-développement en évitant d’avoir, d’un côté, les sachants, et de l’autre, ceux qui sont censés être « aidés ». Cela semble plus facile à énoncer qu’à pratiquer, je le concède bien volontiers, mais je crois que c’est une question de mentalité et de volonté. Nous devons sortir de nos vieux schémas condescendants pour construire des relations d’égal à égal. Une fois que la mécanique est enclenchée, et que les équipes travaillent ensemble, cela marche très bien, je vous l’assure. L’échange dépasse facilement l’apparent rapport dominant-dominé pour devenir vraiment égalitaire et sans complexe. Chacun apporte ce qu’il peut apporter et à l’usage on s’aperçoit que l’équilibre est bien plus grand qu’on pouvait l’imaginer.

 

La croissance annoncée de l’Afrique ne suscite-t-elle pas des appétences intéressées bien éloignées de ces principes vertueux ?
La croissance de l’Afrique offre au monde bien davantage que la perspective de juteux marchés qui fait rêver certains… L’Afrique est exemplaire à bien des égards et elle peut tirer l’Occident vers le haut. De tous les continents, c’est celui qui a accumulé le plus de retards mais c’est aussi celui qui affiche le plus de promesses. Et ces deux réalités sont liées pour produire un atout extraordinaire : l’Afrique n’est pas bridée par un modèle de développement, contrairement à nos pays, riches, qui subissent les pesanteurs de l’acquis et qui, donc, ont du mal à changer de paradigme. Regardez à quel point, nos démocraties peinent à intégrer l’environnement dans leurs modèles de croissance ! Les nations africaines, elles, sont – pour la plupart – dépourvues de facilités qui s’avèrent être autant de carcans. Plus légères, en quelque sorte, elles peuvent accéder à d’autres logiques économes en énergie, par exemple, et plus imaginatives.

 

Comment expliquez-vous que le discours politique continue d’accorder une place aussi marginale au rôle de la coopération décentralisée ?
Dans un esprit français – mas pas seulement – la diplomatie, c’est l’Etat, pas les collectivités territoriales. On ne change pas les mentalités en quelques années… Et puis la coopération décentralisée n’a pas toujours eu une réputation valorisante. Elle était parfois dénoncée – le plus souvent injustement – comme un alibi pour des déplacements exotiques organisés par des élus locaux qui se prenaient pour des ministres… C’est du passé et la Cop 21 va produire des effets très bénéfiques dans ce domaine. L’un des grands acquis de ce rassemblement de Paris, c’est d’avoir mis en évidence la nécessité absolue de parier sur les collectivités territoriales pour accomplir une ambition universelle pour la planète. Elles ont désormais un rôle de premier plan pour désamorcer à la fois les périls environnementaux mais aussi les tensions internationales générées par les déplacements de population. Il nous revient de faire en sorte qu’elles soient à la hauteur de cette mission de civilisation essentielle dans une période historique de tous les dangers.

 

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Roland Ries, président de Cités Unies France, maire de Strasbourg, accueillant le Président de la République Française pour l’inauguration du sixième Forum, en compagnie de François Baroin, président de l’association des maires de France, sénateur maire de Troyes et de Médéric Petit, cofondateur et délégué général du forum Amities.

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