“L’action extérieure des collectivités : un outil fédérateur pour la construction des territoires”

Une interview d'Alain Juppé, maire de Bordeaux, président de l’Association française des Communes et Régions d’Europe (AFCCRE).

A la veille du 5e Forum de l’action internationale des collectivités, les 3 et 4 juillet prochains, où l’ancien Premier ministre appellera à donner une ambition stratégique à ces nouvelles politiques publiques, le maire de Bordeaux dessine un concept dynamique, solidaire et rénové de la coopération décentralisée.

 

JCD : Dans une période de rigueur budgétaire accrue et dans un contexte de baisse programmée de la DGF, quels sont vos arguments pour dissuader les collectivités de rogner sur leurs budgets pour la coopération décentralisée ?

Alain Juppé : L’action internationale des collectivités territoriales n’est pas une compétence obligatoire et son impact réel sur les territoires français est encore difficilement évaluable, même si un nombre croissant d’outils sont développés en ce sens. Son existence, et dans le contexte actuel sa poursuite, résultent donc en premier lieu de la volonté politique des élus locaux et du rôle stratégique que ces derniers lui confèrent. Dans un contexte budgétaire contraint, il s’agit ainsi à mon sens d’envisager pleinement l’action internationale comme un outil au service de la construction des territoires visant à offrir un horizon à l’ensemble des politiques publiques locales. Pour exprimer la diversité des formes que peut revêtir cette action extérieure au service du territoire, il est d’ailleurs désormais préférable de parler “d’action extérieure des collectivités territoriales”, la coopération décentralisée ne renvoyant qu’à la seule coopération contractuelle, sous convention.

 

JCD : Un récent sondage (Ipsos/novembre 2013 pour l’AFD) montre que 75% des Français jugent de façon positive l’implication de leur commune ou de leur région dans une action de développement. Comment exploiter cette bonne nouvelle ?

Alain Juppé : C’est un signal important que nous envoient les citoyens et qui doit nous inciter à assumer plus encore la dimension solidaire de l’action extérieure de nos collectivités territoriales. Il nous faut renforcer la base citoyenne de ces coopérations et veiller à leur dimension participative. C’est la condition nécessaire pour qu’elles soient pleinement légitimes et qu’elles bénéficient d’un soutien pérenne de nos concitoyens.

 

JCD : De quelle façon faire adhérer les citoyens à des actions très éloignées, à première vue, de leurs préoccupations quotidiennes et locales, notamment dans des collectivités qui n’ont eu cette vocation que tardivement ?

Alain Juppé : L’adhésion des citoyens est la condition sine qua non de la légitimité de l’action extérieure des collectivités territoriales. Pour mobiliser les acteurs du territoire, et par leur biais les citoyens, l’action extérieure doit être définie collectivement pour répondre aux besoins ainsi identifiés et pour accompagner les dynamiques territoriales préexistantes (initiatives de la société civile, du secteur privé, etc.). Il est également nécessaire, en s’appuyant notamment sur la société civile et les acteurs de l’éducation formelle et non formelle, de renforcer les actions qui permettent de faire prendre conscience aux citoyens des interdépendances existant aujourd’hui au niveau global et de leur impact au niveau local, qu’il s’agisse d’inégalités de développement ou du changement climatique.

 

JCD : Comment l’Europe peut-elle constituer un nouveau levier pour contribuer au développement de l’action internationale des collectivités [Et – pour Alain Juppé – quel rôle doit jouer l’AFCCRE dans cette stratégie] quand ce thème est pratiquement absent de la campagne pour les Européennes ?

Alain Juppé : L’Europe y contribue déjà ! Si la concurrence pour y accéder est forte et nécessite probablement une évolution dans les pratiques de nos collectivités territoriales vers une plus grande mutualisation, les programmes communautaires permettant d’apporter un soutien financier à l’action internationale des collectivités territoriales existent. Le 15 mai 2013, la Commission européenne a par exemple adopté une communication qui ouvre de nouvelles perspectives pour la participation des collectivités territoriales à la politique communautaire de développement. Cette avancée est notamment le résultat d’un plaidoyer actif mené au niveau européen par le biais de Platforma, la plateforme européenne des autorités locales et régionales pour le développement, dont l’AFCCRE est l’un des membres fondateurs. Au niveau intracommunautaire, l’Europe soutient également les échanges et la mise en réseau entre villes. L’évolution va, il est vrai, dans le sens de projets plus importants qui sont moins facilement accessibles aux collectivités individuelles. On peut le regretter et nous l’avons notifié à la Commission européenne à de nombreuses reprises mais il faut en prendre acte. Dans ce contexte, l’AFCCRE est à la disposition de ses membres pour les accompagner dans la nécessaire évolution de leurs pratiques.

 

JCD : Pour structurer les financements dans les budgets locaux, le temps est-il venu d’inventer d’autres outils pour compléter la loi de 2005 dite “Oudin-Santini” qui permet aux collectivités de consacrer 1% de leur budget annuel pour l’eau à des projets de coopération décentralisée ?

Alain Juppé : L’élargissement du dispositif prévu par la loi Oudin-Santini au domaine des déchets est une bonne initiative. C’est une potentielle manne financière importante et c’est un domaine d’excellence des collectivités territoriales françaises.


JCD : Le volontarisme des collectivités en matière d’action internationale peut-elle faire l’objet d’un consensus au-delà des frontières politiques traditionnelles ?

Alain Juppé : Au-delà des partis qui prônent le repli sur soi et se refusent à prendre acte de la nécessaire ouverture des territoires à l’international, c’est effectivement un domaine d’action fédérateur qui permet, je le crois, de dépasser les clivages habituels.

 

JCD : Quelles sont les pistes qui pourraient permettre une meilleure coopération dans ce domaine entre l’appareil de l’Etat et les équipes des collectivités territoriales ? Faut-il par exemple impliquer davantage le ministère de la Ville qui, pour le moment, laisse cette compétence aux ministères des Affaires étrangères ou de la décentralisation parce qu’il croit qu’elle leur est “exclusive” ?

Alain Juppé : la coopération entre l’Etat et les collectivités territoriales en matière d’action internationale va croissante depuis 1992, indépendamment des majorités qui se sont succédées. A titre d’exemple, les priorités d’action en matière d’appui à la décentralisation et à la gouvernance locale sont ainsi partagées. Une étude visant à rénover la stratégie française en la matière est actuellement en cours : outre le ministère des Affaires étrangères elle associe le ministère de l’Intérieur, celui de la Réforme de l’Etat, de la Décentralisation et de la Fonction publique, l’AFD, le CNFPT, la Caisse des dépôts et Consignations et les associations nationales d’élus. La transversalité existe donc et si toutes les énergies sont nécessaires, il semble également souhaitable de préserver la lisibilité du dispositif. A ce titre, la Délégation pour l’Action extérieure des collectivités territoriales est un interlocuteur précieux.

 


A lire aussi dans le Journal des Communes Durables de juin 2014 (n°2178), les regards croisés de Jacques Pélissard et Michel Delebarre :  “La coopération décentralisée : une ambition résistante à la crise”.   

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