Compensation écologique : des sénateurs tentent de déminer le terrain

La commission d'enquête sénatoriale sur la réalité des mesures de compensation des atteintes à la biodiversité engagées sur des grands projets d’infrastructures a livré le 11 mai ses conclusions et recommandations sur un sujet encore très conflictuel. Parmi leurs préconisations, les sénateurs appellent à faire davantage "confiance aux territoires".

 

En s’appuyant sur trois exemples de grands projets, chacun à un stade différent de mise en œuvre des mesures compensatoires nécessitées par la construction de l’infrastructure – l’autoroute A65, le projet de LGV Tours-Bordeaux et le projet d’aéroport du Grand Ouest à Notre-Dame-des-Landes – une commission d’enquête sénatoriale a auditionné une centaine d’acteurs dont des élus locaux, mis en ligne sur le site internet du Sénat un espace participatif pour “enrichir ses travaux par les avis, propositions et expériences de terrain des citoyens” et dévoilé à partir de là, le 11 mai, une trentaine de propositions concrètes.

 

Vers un consensus

Ces travaux contribuent à forger un consensus sur cet enjeu encore conflictuel et qui se termine bien souvent devant les tribunaux : “Jamais une telle somme de travaux n’a été produite sur ce sujet qui reste sulfureux”, applaudit Jean-François Longeot, le sénateur UDI du Doubs qui est à la tête de cette commission. Outre des préconisations, ce rapport contient 700 pages d’auditions qui constituent une documentation riche et fourmillant d’exemples et de pistes visant à renforcer ce dernier volet du triptyque “éviter, réduire, compenser” (ERC). La compensation s’applique pour rappel lorsqu’un projet porte atteinte à la biodiversité. “La séquence éviter-réduire est pour sa part trop peu ancrée dans la culture. L’évitement, comme l’ont souligné une grande partie des acteurs interrogés, est insuffisamment mis en œuvre”, commente le sénateur LR de la Somme Jérôme Bignon.

 

Connaître, harmoniser, contrôler

Si la compensation fait l’objet d’une doctrine nationale, qui a émergé en 2012 mais reste depuis mise à l’épreuve du terrain, elle a aussi été renforcée par la loi Biodiversité de 2016, qui introduit une obligation de résultat. Il n’empêche qu’elle ne relève pas “d’un cadre juridique aussi simple et univoque qu’on peut l’imaginer”, prévient d’entrée de jeu Paul Delduc. Le directeur général de l’aménagement, du logement et de la nature du ministère de l’Environnement, qui a dressé devant les sénateurs un tableau complet du sujet, pointe “des moyens de contrôle limités”, ses agents étant contraints de procéder par sondage pour vérifier l’effectivité des actions de compensation. L’harmonisation des procédures de suivi existantes est au menu de la nouvelle Agence française pour la biodiversité (AFB). A l’Assemblée des départements de France (ADF), on s’interroge aussi sur ce suivi dans la durée de la réalité des mesures de compensation, qui reste “léger” dans les faits. La commission sénatoriale en conclut qu’il est temps de “repenser le suivi à l’échelle des territoires” et d’assurer la pérennité des mesures compensatoires, que rien ne garantit actuellement. Sans le renforcement d’un tel suivi, l’application d’éventuelles sanctions, prévues par la loi Biodiversité, semble illusoire. L’AFB étudie aussi la faisabilité d’un inventaire national des espaces naturels à fort potentiel de gain écologique susceptibles d’être mobilisés pour mettre en œuvre des mesures de compensation. A cette base de données, accessible à terme au public, s’ajoutera celle qui géolocalisera les mesures de compensation déjà existantes, dénommée GéoMCE et pilotée par le Commissariat général au développement durable (CGDD). Un centre de ressources dédié est aussi dans les tiroirs, dont GéoMCE sera en quelque sorte l’embryon. Les sénateurs encouragent les collectivités à s’associer à ces démarches fondées sur le suivi, la localisation des zones et le retour d’expérience centralisé, comme le prévoit l’AFB, au niveau régional.

 

Cohérence et préparation en amont

Après étude approfondie des projets d’infrastructures cités, la commission plaide pour une sécurisation de la séquence ERC, une plus grande anticipation dans sa mise en œuvre, un effort de mise en cohérence des procédures administratives et un renforcement du rôle des parties prenantes, dont le monde agricole, qui doit devenir “un partenaire majeur” de la séquence ERC. Sa bonne mise en œuvre passe également par la création d’un consensus scientifique solide, par une meilleure intégration au sein de la démocratie environnementale et par l’émergence d’une culture commune autour des acteurs des territoires. Ronan Dantec, sénateur écologiste de Loire-Atlantique et rapporteur de cette commission, précise en ce sens que la définition d’une stratégie ERC “plus intégratrice” doit se faire plus en amont qu’elle ne l’est actuellement et que les considérations liées à la compensation doivent être intégrées dès la phase de déclaration d’utilité publique (DUP). “L’étude d’impact a un rôle clé et devrait s’accompagner d’une analyse de l’impact du projet sur l’activité agricole”, ajoute-il. Pour réduire le flou entourant les coûts de compensation, qui sont d’une grande complexité à estimer dès qu’il s’agit d’un grand projet, les sénateurs suggèrent d’améliorer la transparence et qu’une base de données nationale soit à cet effet créée.

 

Confiance aux territoires

Les sénateurs préconisent en outre de faire davantage “confiance aux territoires”. Plusieurs représentants de collectivités auditionnés ont souligné le degré de connaissance parfois insuffisant dont ils disposent sur ce sujet, il est vrai très technique. A l’Association des maires de France (AMF), André Flajolet, président de sa commission environnement, déplore un dialogue direct entre l’État et les grands maîtres d’ouvrages, “alors que les collectivités directement concernées n’arrivent qu’en second rideau”. Le rapport préconise de “solliciter le plus en amont possible l’expertise et la connaissance des territoires”. Aux régions devraient notamment revenir un rôle de premier plan, estime Ronan Dantec, pour mieux intégrer la compensation dans leur planification, désamorcer en amont les conflits et trouver les consensus. La région Nouvelle-Aquitaine mène une réflexion en ce sens et tente de mieux anticiper des mesures compensatoires. “Mais gare à ne pas trop planifier en amont les zones de compensation, cela risquerait de décourager les porteurs de projet d’éviter ou de réduire puisqu’ils disposeront d’un stock de solutions à disposition pour directement compenser”, prévient Philippe Schmit, secrétaire général de l’Assemblée des communautés de France (ADCF). Autre tendance analysée dans ce rapport : dépasser le raisonnement par surface et mesurer pertes et gains en unités de qualité d’habitat, par hectare et par enjeu. Une méthode testée avec succès sur le projet de contournement ferroviaire Nîmes-Montpellier. La commission revient aussi sur le critère de compensation à proximité. Selon elle, la proximité aurait ses limites : “L’application stricte de ce principe peut remettre en cause l’acceptabilité du projet si elle conduit à impacter les mêmes parties prenantes, notamment les agriculteurs, au titre de l’emprise et au titre des mesures compensatoires.” Elle recommande donc de veiller à une bonne appréciation de cette proximité, en tenant compte du contexte foncier local et de la cohérence avec les réseaux écologiques existants, notamment les trames verte et bleue (TVB).

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